Donne-moi la mer

Où sont les femmes qui ont bâti leur vie autour de la mer ? Femmes marins, activistes, biologistes, pêcheuses, armatrices, etc. Tous les jours, des milliers de femmes luttent en silence afin de se faire une place dans le secteur de la mer, mais jusqu’à présent, nous ne leur avons pas donné la parole.

C’est dans cette approche que le projet Donne-moi la mer a vu le jour, une initiative abordant le thème des femmes rendues invisibles en Méditerranée. Une recherche visant à donner la parole aux femmes qui vivent de la mer pour réorienter le discours narratif du Musée Maritime de Barcelone en y intégrant la perspective d’égalité des sexes.

Nous ne sommes pas à la recherche de sirènes, mythes ou légendes, mais de femmes à qui donner la parole. Nous ne recherchons pas de noms individuels, nous sommes en quête d’un discours commun vecteur de la parole des femmes ayant bâti leurs vies autour de la mer afin de nous permettre d’observer et d’appréhender la mer dans une approche plus égalitaire.

Nous leur posons les questions suivantes : est-ce que le travail en mer est différent lorsqu’on est une femme ? Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels du secteur de la mer ? Qu’est-ce que les femmes apprennent les unes des autres ? Et malgré tout, leur rôle a-t-il évolué, ou la mer est-elle encore considérée au niveau social, comme un milieu masculin ?

Le projet Donne-moi la mer vise à aborder des concepts transversaux tels que les stéréotypes, l’écart salarial hommes-femmes, la violence faite aux femmes ou l’inégalité entre les sexes.

L’équipe de Donne-moi la mer est dirigée par Catalina Gayà i Morlà, docteure en Communication, auteure du livre El mar es tu espejo (La mer est votre miroir) des Éditions Libros del KO et codirectrice de l’émission radio Dones (Femmes) d’IB3 Ràdio, avec le soutien de Laia Seró, également journaliste et titulaire d’un master en Anthropologie de l’Universitat de Barcelona.

Le projet

Nous ne pouvons pas aborder le discours narratif proposé par Donne-moi la mer, sans parler de regard, et avant tout du regard que nous portons lorsqu’il s’agit de révéler au public des récits situés en marge, en aspirant à donner du sens, une légitimité à notre quotidien, à notre identité, à l’expérience commune, et y compris à la réalité culturelle.

Nous partons donc d’un regard, de l’idée d’offrir d’autres perspectives afin de générer des significations complexes, hétérogènes et contradictoires en termes d’altérité.

Quel est le regard porté par le musée ? Comprendre le musée comme un organe de pouvoir, comme une institution au pouvoir symbolique, culturel qui a la capacité de créer des discours narratifs hégémoniques pour conduire enfin à un processus de réflexion de troisième ordre et donner vie à des narrations hégémoniques nous permettant de poser un regard plus complexe, égalitaire et juste sur le monde.

Je m’avance ici à parler de la façon de s’engager dans cette action politique qui peut être qualifiée de changement narratif radical (par « radical », j’entends remonter aux origines) afin de générer d’autres formes narratives depuis les musées, et transformer ceux-ci en espaces de médiation.
Le regard est inhérent à la construction d’une réalité racontée.

Il ne s’agit pas de contempler, il s’agit de penser, de sentir et de se centrer.

Le regard façonne et est façonné.

Cela signifie comprendre les règles et le positionnement d’un domaine particulier afin de les faire émerger pour ensuite les déconstruire.

Le regard concerne notre perception du monde pour ensuite la raconter et la transformer en narration.

Comment introduire une narration reposant sur l’égalité des sexes dans le monde de la mer ?

Les conclusions du projet

Le jeudi 7 mars 2019, le compte-rendu des conclusions du projet de recherche Donne-moi la mer, a été présenté dans le cadre d’une séance publique à l’Auditorium du MMB.

Début 2018, nous avons débuté des travaux de recherche afin de donner aux femmes la parole au sein du Musée Maritime de Barcelone (MMB). Sous l’intitulé Donne-moi la mer, le projet s’inspirait de cette réflexion critique de María Zambrano. Il suffisait seulement de remplacer « écrivain » par « musée » :

« Ce qui est publié a une fin précise, pour que celui ou ceux qui l’apprennent, vivent en profitant de cet apprentissage, pour qu’ils vivent tous d’une manière différente après avoir acquis cet apprentissage, afin de libérer tout un chacun de la prison des mensonges ou du brouillard de l’ennui, qui consiste à vivre un mensonge […]. Une communauté composée d’un écrivain et de lecteurs, qui contrairement à ce que l’on croit dans un premier temps, n’est pas créée après que ces derniers aient lu l’œuvre publiée mais avant, au moment même où l’écrivain rédige son œuvre. C’est à ce moment-là, lorsque le secret est dévoilé que la communauté composée de l’écrivain et de son public voit le jour. Le public de lecteurs existe bien avant que l’œuvre n’ait été (ou non) lue, il existe dès le commencement de l’œuvre, il cohabite avec lui et avec l’écrivain en tant que tel. Et seules les œuvres ayant séduit un public dès le départ, parviendront à attirer son attention. L’écrivain n’a donc pas à remettre en question l’existence de ce public puisqu’il existe depuis qu’il a commencé à écrire ».

Il est vrai que nous avons commis une erreur qui nous a permis plus tard de mieux comprendre tous les enjeux de Donne-moi la mer, non seulement en tant qu’étude portant sur l’univers des femmes vivant de la mer mais également dans le but de mettre en lumière une narration invisible dans le cadre d’une institution créatrice de savoir comme le musée.

Dans le premier message que nous avons publié sur Twitter (en guise de lettre de présentation), nous nous demandions où étaient les femmes de la mer, sans réaliser que cette question engendrait une réponse rapide : en mer, les femmes sont sur les bateaux, les remorqueurs, les ports, les stations de recherche. Les femmes sont présentes en mer, mais il fallait leur donner la parole pour comprendre leur expérience au sein de cet univers, tout en identifiant les mécanismes d’occultation et les processus les rendant invisibles dont elles ont été et sont encore victimes de nos jours.

Le méthode de recherche

Connaissez-vous des femmes marins, des activistes liées à la mer, des biologistes, des pêcheuses, des armatrices, etc. ? Probablement pas ou alors très peu. En effet, les femmes ont toujours étaient présentes en mer, mais leur rôle a été largement marginalisé, stéréotypé et, dans de nombreux cas, passé sous silence.

Les chiffres démontrent que la présence des femmes pour les tâches liées au secteur maritime et à la pêche est d’environ 1 %. Il convient toutefois de tenir compte du fait que les données sont le fruit d’une approche patriarcale des tâches, en effet, les données publiées reposent sur la production et non pas la reproduction, c’est-à-dire des données liées à la prestation de soins.

C’est pourquoi dans le cadre du projet Donne-moi la mer, nous explorerons dans les mois à venir le véritable rôle que les femmes jouent en mer. Cela prendra la forme de débats abordant des sujets centrés sur cinq axes de débat actuels relatifs à la mer et donnant une nouvelle dimension au rôle des femmes dans le secteur de la mer.

Donne-moi la mer s’articule autour d’une recherche axée sur cinq tables rondes abordant chacune un sujet lié aux débats actuels concernant la mer :

– La marine professionnelle
– Le tourisme
– Les sciences et activités environnementales
– La pêche
– Les conflits

Dans tous les domaines, nous aborderons :

a) Les connaissances sociales communes et les règles de chaque domaine. Nous souhaitons nous interroger sur la place qu’occupe la femme, les difficultés rencontrées par les professionnels femmes et les défis que les femmes doivent relever dans leur domaine.

b) La narration, c’est-à-dire quelle est ou a été la visibilité de la femme dans ce domaine et à quoi conduit cette marginalisation.

c) La narration dans une approche muséale, c’est-à-dire quels sont les aspects à mettre en lumière pour que la femme trouve sa place au cœur du discours narratif d’un musée maritime.

Qu’est-ce qui motive ces débats ?

– Ils nous permettent de mettre en avant l’expérience individuelle et collective à travers divers consensus.

– Ils nous rapprochent du discours social commun.

– Ils nous permettent d’identifier les origines de l’histoire.

– Ils mettent en lumière les négociations menées dans ce domaine en particulier.

– Dans un récit vécu au présent, nous entrons en contact avec le monde qui est construit au niveau social (les femmes peuvent mettre des mots sur les règles non écrites, elles affichent leur positionnement).

– La narration qui en découle s’amorce comme une déconstruction qui mène à une construction.

– Les questions et sujets abordés nous permettent de mesurer nos connaissances de la mer et de savoir comment en tirer profit en adoptant d’autres points de vue.

Et comme notre souhait est de vous impliquer dans ce travail de réflexion, les tables rondes accueillant des experts en la matière et des témoignages directs seront ouvertes au public. Elles se tiendront le premier jeudi de chaque mois dans les installations du Musée Maritime de Barcelone. Venez nous rejoindre !

Comment réorienter le récit?

La narration est un terme polysémique qui fait référence au processus de création de l’histoire, au cadre cognitif qui se cache derrière cette création et au produit final. La narration propose des récits sociaux et individuels qui nous guident et apportent un sens aux expériences actuelles, et nous permettent également de donner une signification à ces expériences.

En ce sens, le projet Donne-moi la mer ne fait plus seulement référence à la présence ou absence de la femme dans le secteur de la mer. Il ne vise pas non plus à analyser la manière dont la femme a été dépeinte ou la parole qui lui a été donnée.

Il tente de créer un récit, une narration autour de la mer en y intégrant la femme.

La narration et le savoir ont des racines communes, que ce soit en latin ou en sanskrit. Communiquer est issu du latin communicare, qui provient de comoin, commun. Par conséquent, lorsque le savoir devient narration et qu’il est diffusé, cela permet de partager une manière d’appréhender et de voir le monde.

La communication est un processus essentiel dans le cadre de la vie en société, en qualité de mécanisme permettant de donner du sens, de stimuler le dialogue et d’encourager la cohabitation des différents acteurs sociaux.

Cela explique pourquoi par le biais du projet Donne-moi la mer, nous nous interrogeons sur comment nous avons modelé l’expérience humaine en une forme équivalente de structures de signification humaine.

Nous pourrions évoquer le nombre de femmes qui ont vécu de la mer à travers l’histoire, nous pourrions faire un retour en arrière sur les pirates, les mécènes, les voyageuses mais via le projet Donne-moi la mer, nous avons pour objectif d’avoir une approche plus profonde et plus douloureuse.

Dans Un monde flamboyant, Siri Hustvedt résume parfaitement cela à travers sa réflexion sur le monde artistique : « Toutes les créations intellectuelles et artistiques, y compris les plaisanteries, ironies ou parodies, sont mieux accueillies dans l’esprit du public lorsque celui-ci sait que, derrière une œuvre magistrale ou une grande déception, se cachent un pénis et une paire de testicules ». Nous n’avons pas d’autre solution que celle de nous engager dans un exercice de déconstruction de la narration afin de la reconstruire par la suite.

Quel est notre point de départ ?

Nous partons de l’idée que le récit est une action politique comme la vie elle-même : parce que nous racontons qui nous sommes dans un contexte commun, par conséquent, le récit dans une perspective de genre suppose une génération de connaissances qui remet en question la version officielle, les connaissances sociales communes (la doxa) intégrées sous la forme d’habitudes. Ce sont donc des connaissances qui déterminent notre mode de vie et nous permettent de comprendre comment nous avons vécu jusqu’à présent, puisque cela façonne l’imaginaire symbolique en tant que collectivité, communauté et individus.

Ainsi, si nous partons du principe que le récit est une action politique, le récit dans une perspective de genre implique :

a) d’assumer un engagement politique en obtenant la visibilité et reconnaissance des femmes, qui ont été historiquement marginalisées ou sous-représentées dans les narrations officielles ;

b) une option politique : un engagement afin de dénoncer la position d’inégalité et de subordination des femmes par rapport aux hommes ;

c) de créer une autre liste de sujets : mettre en lumière des sujets tels que la prestation de soins, la collaboration ou la sororité permettant d’expliquer d’autres modes de vie, éloignés de la narration néolibérale occupant une place hégémonique ;

d) de générer des narrations sur la base des possibles, du changement et de solutions ;

e) de raconter la périphérie, de fuir le centre de pouvoir et d’aller vers les extrémités pour chercher les sujets qui vivent en marge ;

f) de raconter le contexte : retourner vers le sujet, et au moyen du contexte, ne plus le considérer ni faire son récit en tant qu’objet ;

g) d’être capables de comprendre que le narrateur fait déjà partie de la recherche et du récit postérieur ;

Le projet Donne-moi la mer illustre en toute franchise, le souhait de créer une narration politique de transformation.

MMB

Mettons les voiles

Première table ronde : les femmes au sein de la Marine professionnelle

La première table ronde du cycle, Un autre regard sur la mer : les femmes au sein de la Marine professionnelle, s’est tenue le jeudi 3 mai 2018 à 17 h au Musée Maritime de Barcelone.

Les participantes à la table ronde étaient les suivantes : Carla Salvadó, directrice marketing et croisières du port de Barcelone ; Cristina Caparrós, armatrice de l’une des rares embarcations encore amarrées au quai de la ville ; Núria Obiols, officier du port de Tarragone ; et Eulàlia Pujol, directrice du Centre de sauvetage maritime de Barcelone.

Seconde table ronde : les femmes marins et le tourisme

La seconde table ronde Donne-moi la mer s’est célébrée le jeudi 7 juin 2018 à 17 h au Musée Maritime de Barcelone et a compté sur la participation de femmes ayant traversé les océans en transportant des touristes dans des bateaux de tout type, en qualité de capitaine ou de membre d’équipage.

En présence de Marta Ribot, capitaine au long cours et directrice d’Experiències Nàutiques ; Eva Octavio, maître au cabotage supérieur et propriétaire de Son A Mar ; Lola Jansana, cuisinière sur un bateau et auteure du livre Cocinar en el mar (Cuisiner en mer) ; Loli Piedra, directrice et formatrice du club nautique Terramar ; Belén Martín, directrice d’Evolution ; et Clara Montejano, capitaine au long cours et mécanicienne navale.

Troisième table ronde : les femmes et la mer, science et activisme environnemental

Jeudi 5 juillet 2018 à 17 h. La troisième table ronde du projet Donne-moi la mer s’est déroulée au Musée Maritime de Barcelone sous l’intitulé Un autre regard sur la mer : les femmes scientifiques et de mer,  et a compté sur la participation de femmes ayant réalisé des expéditions scientifiques dans les mers du monde entier.

La table ronde a été dirigée par Catalina Gayà Morlà et a compté sur la présence de Dolors Vaqué, chercheuse scientifique de l’Institut de Ciències del Mar de Barcelona (ICM) ; Raquel Vaquer, chercheuse au département Global Change Research de l’Institut Mediterrani d’Estudis Avançats (IMEDEA) ; Conxita Àvila, enseignante-chercheuse de l’Universitat de Barcelona spécialisée dans l’étude des invertébrés marins ; Joana Vicente de Bobes, chercheuse et responsable d’équipes de plongée d’expéditions en Antartique ; et Cèlia Marrasé, chercheuse scientifique de l’Institut de Ciències del Mar de Barcelona (ICM) spécialiste de l’écologie du plancton.

Quatrième séance : les femmes et la pêche

La quatrième séance abordant la présence des femmes en mer a compté sur l’assistance de Natzareth López, observatrice des pêches ; Cristina Perelló, armatrice, pêcheuse et fille de pêcheurs ; Cristina Garriga, pêcheuse ; et Maribel Cera, femme marin spécialisée dans la pêche artisanale à Sant Carles de la Ràpita. Cette séance a eu lieu le 13 septembre 2018 à 17 h au Musée Maritime de Barcelone.

Cinquième séance : les femmes, les conflits et la mer

Le jeudi 4 octobre à 17 h, nous avons clôturé ce cycle de conférences par le cinquième et dernier débat du projet Donne-moi la mer. Cette table ronde a réuni des femmes travaillant dans le domaine de l’aide humanitaire au sein d’organisations portant assistance aux embarcations de migrants qui tentent de traverser la mer Méditerranée. Nous avons compté sur l’assistance de femmes marins ayant pris la mer mais également d’infirmières et de responsables communication. Des femmes qui, de nouveau, ont dû lutter au quotidien pour vivre de la mer. En présence de Laura Lanuza, responsable communication d’Open Arms ; Emma Segú, femme marin et cuisinière sur des bateaux de sauvetage ; Pat Rubio de l’ONG Lifehouse Relief ; et Pilar Pasanau, ex-femme marin et volontaire sur des bateaux de sauvetage.

La mer et les femmes, une autre vision

Comprendre l’altérité

Premier défi, la mer et les femmes. Si loin mais si proche à la fois ! Tout d’abord, il convient de souligner que la femme a toujours été présente en mer et au sein des communautés maritimes, mais son rôle a été marginalisé, stéréotypé et passé sous silence par la narration officielle. Dans un second temps, la femme est mise en valeur hors de son contexte, dans le cadre d’un processus narratif, semblable à celui qui met en scène l’homme en mer : elle est sortie de son contexte, et est montrée comme une pionnière, une aventurière.

Si nous revenons à l’idée que le récit dans une perspective de genre est une action politique et que nous comprenons la narration comme un cadre cognitif et un mode de pensée, nous devons appliquer une méthode et une méthodologie différente à celles qui ont été mises en œuvre jusqu’à présent dans le domaine de la mer. Par conséquent :

Si nous assumons un engagement politique axé sur la visibilité et reconnaissance des femmes, qui ont été historiquement marginalisées ou sous-représentées dans les narrations officielles, nous commençons à comprendre les mécanismes tendant à les rendre invisibles et la standardisation de ces mécanismes.

Si nous assumons qu’il s’agit d’une option politique, nous appréhendons ce récit comme un engagement permettant de dénoncer la position d’inégalité et de subordination des femmes par rapport aux hommes.

Si nous créons une autre liste de sujets, nous mettons en lumière des sujets tels que la prestation de soins, la collaboration ou la sororité permettant d’expliquer d’autres modes de vie, éloignés de la narration néolibérale.

Si nous générons des narrations sur la base des possibles, du changement et de solutions, nous pouvons déconstruire la narration hégémonique, y compris le discours hégémonique et créer d’autres narrations et imaginaires narratifs.

Si nous racontons la périphérie, nous fuyons le centre de pouvoir et allons vers les extrémités pour aller à la rencontre de la communauté.

Si nous racontons le contexte, nous retournons vers le sujet, et au moyen du contexte, nous ne le considérons plus ni ne faisons son récit en tant qu’objet.

Si nous sommes capables de comprendre que le narrateur fait déjà partie de la recherche et du récit postérieur, nous mettons en lumière le processus de recherche comme faisant partie du résultat et nous pouvons être objectifs face aux questions.

Le récit intègre de nouveaux schémas cognitifs et de pensée qui remettent en question l’hégémonie narrative du vainqueur, de l’homme, de celui qui prend la mer, de l’aventurier, de celui qui est seul, de celui qui finance l’expédition, etc. Afin de soulever une question et de trouver la méthode !

Si nous assumons les points a, b, c, d, e, f et g susmentionnés, la mer n’est plus racontée depuis une perspective masculine. Si la vision et les questions posées sont différentes, de nouvelles paroles émergent, de nouvelles perspectives et la mer peut être racontée par la communauté, la mer peut être racontée par une femme. La mer n’est plus racontée à partir d’un seul point de vue !

Que devons-nous faire ? Nous poser des questions non hégémoniques et utiliser des techniques de recherche qui nous permettent de comprendre l’altérité.

"Never at sea"

Le titre de cette section se réfère aux 5 500 femmes britanniques, appelée les Wrens, qui sont parties en mer pendant la Première Guerre mondiale : «Never at sea » était leur devise.

Elles étaient infirmières à bord, cuisinières sur les bateaux, messagères vers les rives, pilotes de barges, etc., elles voyageaient aux côtés des marins mais n’étaient malgré tout « pas là. »

Il s’agissait d’être là sans avoir le droit d’exister, d’être là en consentant de ne pas apparaître dans le récit officiel.

Lorsque nous avons visité cet été l’exposition à Portsmouth, nous avons découvert une minuscule exposition factuelle : des faits et encore des faits, sans remise en question, y compris de cette devise : « Never at sea ».

L’exposition se tenait dans l’impressionnant Porstmouth Historic Dockyard, sous l’intitulé : « Women and the Royal Navy Pioneers to professionals », une réflexion sur la contribution de la femme dans l’Armée britannique au cours des 250 dernières années.

L’exposition mettait en lumière des héroïnes anonymes, des Wrens non identifiées, et le récit officiel n’était pas remis en question, elles y étaient intégrées.

Comment est dépeinte la femme en mer ?

Au cours des trois dernières années, il existe, et tout particulièrement dans les musées anglo-saxons, une volonté de mettre en valeur la femme gagnant sa vie en mer et d’en faire une pionnière, une exception, un élément exotique, une personne qui a lutté contre le système social établi et a ouvert une brèche qui lui a permis d’être élevée au rang de symbole.

Voici quelques exemples :

– 2015. Royaume-Uni. National Maritime Museum. « Mermaids, Women at sea » : l’exposition s’articule autour des récits personnels de femmes « ayant défié l’ordre établi et ayant laissé une trace dans un monde dominé par les hommes ».

– 2015. Irlande. National Maritime Museum. « Women and the sea » : le projet de travail s’articule autour de la tenue d’un congrès de deux jours au cours duquel experts et témoins se penchent sur le rôle de la femme de mer dans divers domaines : la culture, l’histoire, l’industrie et la science. Ce projet est organisé par le National Maritime Museum en collaboration avec l’University College Dublin. Les conférences sont disponibles en ligne et dans la plupart des cas, elles démontrent que la femme qui travaille en mer fait figure d’exception.

D’autres expositions relatives à la présence de la femme à une période historique particulière ou dans un espace géographique donné ont été organisées.

En voici quelques exemples :

– 2015 – 2017. Islande. Reykjavik City Museum. « Women at sea » : une exposition ethnographique sur les femmes islandaises qui travaillent en mer, s’inscrivant dans une réflexion sur leur présent, passé et futur, en mettant notamment l’accent sur la perspective historique.

– 2017. Royaume-Uni. National Maritime Museum. « Haenyeo : Women of the Sea » : une exposition sur la vie des femmes plongeuses à Jeju en Corée du Sud.

L’exposition manifeste également la volonté de démolir les mythes et croyances relatifs aux femmes et la mer.

– 2016. Euskadi. Untzi Museoa – Museo Naval Donostia. « Las mujeres y el mar » ; une exposition s’articulant autour du rôle des femmes dans l’économie maritime et dénonçant la vision androcentrique dominante en matière de recherche maritime.

Et, dans ce dernier cas, le personnage de la femme a été utilisé pour mener une réflexion sur une période concrète de l’histoire, mais ni celle-ci ni la mer n’ont occupé le premier rôle. Le cas le plus extrême est concrétisé par l’exposition « Emma Hamilton, seduction and celebrity », qui se tenait au National Maritime Museum, au Royaume-Uni de novembre 2016 à avril 2017.